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Traumatismes crâniens

 Traumatismes crâniens

Un traumatisme crânien touche des centaines de milliers de personnes chaque année.

L’incidence annuelle calculée est de 281 personnes touchées pour 100000 habitants, avec une prédominance deux fois plus grande pour le sexe masculin. A titre indicatif et suivant des données déjà un peu anciennes, les accidents de la voie publique représentent en France la première cause de traumatisme crânien (60% des hospitalisations pour trauma crânien, et 70% des décès par trauma crânien), avec un pic de fréquence entre 15 et 30 ans. La deuxième cause recensée sont les chutes (30% des hospitalisations et 14% des décès), avec deux pics de fréquence l’un avant 5 ans et l’autre après 70 ans. Les plaies par arme à feu ne représentent que moins de 1% des admissions mais totalisent 13% des décès. Parmi les facteurs de risque d’accident, il faut rappeler l’importance de l’alcoolisme aigu comme facteur favorisant autant les chutes que les accidents de la circulation.


La gravité d’un traumatisme crânien dépend des lésions cérébrales que provoque la dissipation de l’énergie physique mise en jeu. Il s’agit des lésions de l’encéphale créées par les phénomènes physiques d’accélération-décélération qui mettent en jeu des forces de cisaillement et d’étirement au sein du parenchyme. Les conséquences sur le fonctionnement neuronal sont immédiates ; elles sont transitoires en cas de sidération de la fonction, ou définitives en cas de lésion anatomique. Plus rarement, il s’agit d’une plaie pénétrante qui crée des lésions corticales cérébrales directes définitives.


Le cerveau est le principal organe intracrânien touché en raison de son poids, de son volume dans la boîte crânienne, et de sa configuration interne et externe. Le cervelet et le tronc cérébral sont plus souvent épargnés. Mais tout l’encéphale est soumis aux mêmes risques de lésions ischémiques ou hypoxiques secondaires aux désordres circulatoires et respiratoires subis par le blessé. Il en est de même pour tout un registre de lésions cellulaires consécutives à une cascade d’évènements biochimiques déclenchés par l’hypoxie ou la présence de sang dans le cerveau.


La première conséquence majeure et immédiate d’un traumatisme crânien est la perte de conscience. Elle est le signe certain de la commotion cérébrale, c’est à dire d’un ébranlement des structures cérébrales avec suspension de leur fonction. Elle peut être brève ou prolongée. C’est pourquoi on parlera soit de perte de connaissance brève soit de coma d’emblée. Elle donne la mesure de la sévérité d’un traumatisme crânien par sa durée et aussi par sa profondeur évaluée par l’examen neurologique du blessé. Plus le réveil du blessé sera rapide et plus grandes seront ses chances d’un retour à la normale. Parmi l’ensemble des traumatisés crâniens, on estime que 90% d’entre eux n’en garderont aucune conséquence, 5 à 8% en garderont des séquelles majeures, et 1% des séquelles sévères (état pauci-relationnel ou état végétatif persistant). Une épilepsie post-traumatique est une séquelle pour 3% de l’ensemble des traumatisés, atteignant en majorité les traumatisés crâniens graves. Il faut toutefois se rappeler que la récupération même totale et rapide du blessé n’est pas une preuve suffisante pour affirmer qu’il n’y a pas eu de lésions cérébrales ni pour dire qu’il n’y aura aucune séquelle.


A- Mécanismes physiques et physiopathologiques

1. Le mécanisme physique des lésions

Tout se joue dans les quelque 50 à 200 millisecondes qui suivent l’impact. Deux mécanismes physiques contemporains et simultanés sont ici en jeu :


un effet de contact au niveau de l’impact crânien, observé chaque fois que la tête heurte un obstacle ou est heurtée par un objet. Cette onde choc se propage et se disperse sur un plan parallèle de la superficie vers la profondeur du cerveau, en ondes ou couches d’ondes successives. Les lésions sont d’abord locales, au point d’impact, qui marquera le scalp à des degrés divers par une ecchymose, ou une contusion, ou une plaie. A un degré de plus, une fracture de la voûte crânienne se produira, ou plus encore, une plaie pénétrante cranio-cérébrale. Tout dépend de la surface de l’objet qui, par exemple, peut être pointu (balle de pistolet), rond (balle de golf), ou plat (planche).

un effet d’inertie, observé chaque fois que la tête est mise en mouvement (accélération) ou est arrêtée dans son mouvement (décélération). Le plus souvent les phénomènes d’accélération et décélération sont conjugués. Ici les lésions sont diffuses et multifocales.

Chacun de ces phénomènes de contact et d’inertie a pu être reproduit expérimentalement. On a pu démontrer que les plus dangereux étaient les phénomènes d’accélération-décélération angulaire. Ils sont à leur maximum au cours des accidents survenant à grande vitesse, mais une chute de sa hauteur, un coup de poing au menton, sont des circonstances suffisantes pour produire des lésions cérébrales. Dans la pratique, effet de contact et effet d’inertie conjuguent leurs effets dans des proportions variables suivant les circonstances de l’accident. Voici résumés quelques exemples :


2. Les lésions cérébrales

Que ce soit au cours du sport, de la vie domestique, des rixes alcooliques, ou des accidents sur la voie publique, les phénomènes physiques liés à l’impact et aux forces d’inertie conjuguent leurs effets pour engendrer des lésions de contusion à la surface du cerveau et/ou des lésions profondes axonales.


a. Lésions de contusion

Le cerveau se comporte à l’intérieur de la boîte crânienne comme un passager sans ceinture, collé à son siège en cas d’accélération brutale, ou projeté sur le pare-brise lorsque la voiture freine brutalement. Ces lésions d’écrasement sont d’abord situées à la superficie du cerveau, et sont appelées lésions de contusion. Une lésion de contusion laisse en principe l’arachnoïde intacte et intéresse les tissus et microvaisseaux sous-jacents, la substance grise ou cortex et la substance blanche adjacente avec leurs artérioles, capillaires et veinules. Ces petites lésions vasculaires constituent presque toujours un foyer nécrotique, hémorragique et oedémateux.

L’hémorragie peut même devenir importante au point de constituer un hématome intraparenchymateux compressif. Ces contusions sont présentes sous la zone d’impact (contusion directe par coup) ou à distance (contusion indirecte par contre-coup). En raison du relief particulier irrégulier de la base du crâne, ces lésions de contusion sont plus fréquentes dans les régions frontales et temporales.

Ces mouvements du cerveau dans la boîte crânienne sont aussi à l’origine d’une déchirure ou d’un arrachement des veines qui passent en pont de la convexité cérébrale aux sinus veineux duraux. Ces lésions veineuses sont une source d’hémorragie dans l’espace sous-dural, entre le cerveau et la dure-mère. Le détail de ces lésions est analysé plus loin.


b. Les lésions axonales diffuses

Les phénomènes d’accélération-décélération sont à l’origine de lésions de cisaillement ou d’étirement au niveau de la jonction substance grise - substance blanche. Il s’agit d’un effet de cisaillement entre ces deux zones de densité différente. Au niveau de la substance blanche, se sont plutôt les effets d’étirement qui vont s’appliquer au niveau des axones exposés en raisonde leur orientation uniforme et parallèle qui les rend plus vulnérables. Portée à son maximum, cette force d’étirement peut aussi léser les microvaisseaux qui cheminent dans la substance blanche au milieu des axones. A la lésion axonale s’ajoute ici une micro-lésion vasculaire, responsable d’une micro-hémorragie. En cas de confluence de ces micro-lésions peut apparaître une pétéchie hémorragique visible au scanner. Ces phénomènes de cisaillement et d’étirement sont plus accentués autour de la paroi des ventricules à cause de la proximité du volume inerte du LCS.


c. La suspension du fonctionnement neuronal

A des degrés divers, les mécanismes physiques en jeu au cours du TC interrompent le fonctionnement neuronal. Le premier phénomène déclenché par le traumatisme, et le plus minime, est une dépolarisation de la membrane cellulaire peut-être liée à la déformation mécanique. Cette dépolarisation responsable d’un arrêt de fonctionnement de la cellule s’accompagne d’une sortie massive du K+ intracellulaire, et d’une libération de neurotransmetteurs excitateurs. Cette dépolarisation est limitée, isolée, transitoire et immédiatement réversible. Par contre, les neurotransmetteurs libérés auraient un rôle toxique. Le deuxième phénomène à la base des troubles fonctionnels du traumatisme crânien est l’atteinte axonale. Cette atteinte peut aller d’une désorganisation moléculaire de la membrane cellulaire jusqu’à sa complète désintégration. Ces dégâts porteraient sur quelques axones ou sur des dizaines de millions. Ces altérations touchent aussi à l’organisation des autres connexions neuronales restées intactes. Cette perte de l’influx nerveux par lésion fonctionnelle ou anatomique est appelé phénomène de déafférentation. Cet état de choc serait responsable de l’expression immédiate des troubles de la conscience et des désordres neurologiques, et comme il n’est pas immédiatement réversible et serait responsable des comas traumatiques durables et des déficits persistants.


3. Evolution des lésions


Il y a de multiples raisons de voir apparaître des phénomènes pathologiques secondaires au moins aussi graves de conséquences que les lésions primaires. Ils sont liés à l’évolution autourde la lésion tissulaire primaire, ou encore à des agressions nouvelles.


a. Evolution des lésions primaires


1- les hémorragies

Toute plaie vasculaire peut aboutir à la constitution d’un hématome. Dans la fermée, l’existence d’une contre-pression explique à la fois l’élévation intracrânienne et l’arrêt de l’hémorragie par tamponnement, quelle que soit l’hémorragie.


2- l’oedème cérébral _OEdème cérébral signifie une augmentation de la teneur en eau du cerveau avec de son volume, ce qui génère une hypertension intracrânienne.

L’oedème cérébral est ici d’origine vasogénique par rupture mécanique de la barrière hématoencéphalique. La présence de facteurs toxiques et de radicaux libres présents contusion surajoute des désordres de la microcirculation locale, ce qui conduit d’énergie. Tout s’additionne pour créer une souffrance cellulaire avec augmentation contenu en eau et en sodium, c’est-à-dire une oedème cellulaire cytotoxique.


Ces oedèmes sont souvent focalisés, et présents autour du foyer de lésion de d’une plaie cranio-cérébrale. Ils apparaissent au bout de quelques heures. On scanner par le halo noir ou sombre, témoin de l’hypodensité par augmentation eau, qui entoure les lésions. Parfois ces oedèmes sont beaucoup plus diffus l’ensemble d’un hémisphère cérébral ou même l’encéphale tout entier. Leur origine plus complexe, et attribuée soit à une bouffée vasomotrice avec augmentation sanguin intracérébral, soit à une ischémie tissulaire diffuse, soit encore à une accumulation brutale de l’eau intracellulaire. Ce phénomène est appelé du nom de "brain swelling".


b. Agressions supplémentaires


1° Les désordres systémiques

Les conditions respiratoires et circulatoires du blessé peuvent influer considérablement sur son état cérébral pour venir ajouter une agression supplémentaire phase aiguë du trauma cérébral.

- Au plan respiratoire, le blessé est surtout menacé par une hypoxie, et/ou une de la pression thoracique avec hyperpression veineuse et gêne à la circulation retour. Le risque est patent si la pO2 est inférieure à 60 mmHg (8 kPa).

- Au plan circulatoire, le blessé est menacé par une hypovolémie, ou une hypotension artérielle, ou une anémie. L’état de choc, la spoliation sanguine par hémorragie interne ou externe, l’utilisation d’un hypotenseur, en sont les principales sources. Le risque est patent si la pression artérielle devient inférieure à 60 mmHg.


L’origine de ces lésions est variée :


Les désordres peuvent être directement liés à l’agression du système nerveux et ses conséquences sur la régulation neurovégétative de la respiration comme de la circulation.

On peut assister ainsi au développement brutal d’un oedème aigu pulmonaire neurogénique, d’une ischémie myocardique, de troubles intenses du rythme cardiaque. Tous ces phénomènes aigus semblent reliés par la présence d’un taux élevé de catécholamines circulantes en réponse au stress traumatique et à l’état de choc initial.

Les désordres peuvent être liés aux circonstances de l’accident et aux lésions associées responsables d’hypoxie ou d’anémie d’origine hémorragique.

Les désordres peuvent enfin être liés au contexte de la prise en charge initiale sur place, ou même celle des jours suivants. Il a été démontré une incidence élevée d’épisodes secondaires d’hypoxie, d’hypotension artérielle, d’anémie, d’hypercarbie, malgré l’extrême vigilance des équipes soignantes. Les épisodes dangereux surviennent par exemple à l’occasion du transfert du blessé au scanner ou vers une autre unité de soins. Enfin, une défaillance polyviscérale, ou une infection nosocomiale, une hyperthermie non contrôlée, peuvent ajouter leurs effets nocifs. Il est démontré que tous ces évènements jouent un rôle délétère sur la morbidité et la mortalité de ces blessés graves.

2° Ischémie cérébrale


Qu’elle soit d’origine circulatoire ou secondaire à une hypertension intracrânienne, l’ischémie cérébrale est la menace majeure qui pèse sur le devenir fonctionnel et anatomique du cerveau traumatisé. Il s’agit là d’une ischémie globale, diffuse, ou muticentrique, qui touche le cortex cérébral comme l’auraient fait une anoxie ou un arrêt cardiaque. L’ischémie touche l’ensemble de la substance grise, celle qui a la demande métabolique la plus forte en oxygène et en glucose. Toutes les fonctions cérébrales sont ainsi menacées. Le dysfonctionnement du cortex cérébral et du tronc cérébral entretiennent les troubles de la vigilance. La perte cellulaire est massive et marquée par une atrophie cérébrale visible au scanner dès les premières semaines après le trauma.


L’ischémie peut prendre une autre forme plus locale. La microcirculation des tissus situés autour d’un foyer de contusion ou d’hémorragie est menacée par une vasoconstriction, l’effet d’une compression tissulaire, des microthromboses capillaires, ou encore des désordres du métabolisme cellulaire. La production d’énergie de la cellule est compromise car son métabolisme oxydatif est en panne. Des produits toxiques comme les radicaux libres sont libérés. Ici, tout s’enchaîne dans une suite de catastrophes biochimiques en cascade. On a pu comparer ce foyer évolutif à celui de la pénombre ischémique de l’accident vasculaire cérébral. On lui a donné le nom de "pénombre traumatique". Le moindre événement respiratoire ou circulatoire peut précipiter les cellules situées dans cette zone de pénombre traumatique en dessous du seuil de viabilité.


Tous ces phénomènes ischémiques et toxiques restent évolutifs durant plusieurs heures sinon plusieurs jours (expérimentalement de 24 à 96 heures après le trauma initial). Cette menace initiale diffuse existe quel que soit le degré de sévérité du trauma crânien, et quel que soit l’âge du patient.


B - Les lésions intracrâniennes traumatiques

Quel que soit le type d’accident, la gravité d’un traumatisme crânien et son devenir dépendent de la sévérité de l’atteinte lésionnelle cérébrale. Une meilleure connaissance des mécanismes lésionnels et une meilleure visualisation des lésions sont des critères essentiels pour mieux comprendre le traumatisme.

Un classement de ces lésions devient indispensable. On peut choisir, par exemple, de le faire à partir de l’image qui nous en est donnée. En effet, le scanner cérébral ou l’IRM ont transformé notre manière d’identifier ces lésions, puisqu’il est possible aujourd’hui de les détecter du vivant du patient, à leur phase initiale ou secondaire. Les lésions hémorragiques et/ou expansives sont les plus facilement reconnaissables. Elles sont à la base des principales décisions thérapeutiques chirurgicales ou médicales d’aujourd’hui. Mais, toutes les lésons ne sont pas visibles au scanner ou à l’IRM : absence de lésion visible au scanner ne signifie pas absence de lésion. Tout un spectre de lésions diffuses du parenchyme cérébral, comme les lésions de rupture axonale, les lésions d’origine hypoxique ou ischémique, les lésions oedémateuses, ne sont pas immédiatement visibles et ne peuvent être encore à ce jour authentifiées que par un examen microscopique détaillé. Elles font pourtant toute la gravité du traumatisme cérébral et sont à l’origine de séquelles lourdes. On peut choisir un autre mode de classement plus théorique, qui s’appuierait sur le moment de survenue immédiate ou secondaire de ces lésions. D’autres modes sont aussi opérationnels, à nous de choisir celui qui convient le mieux à la question que nous nous posons. Nous proposons la classification suivante.


lésion focale ou diffuse ? Cette première classification simple des lésions intracrâniennes posttraumatiquess’appuie sur l’imagerie et distingue le caractère focal ou diffus des lésions. Parmi les lésions focales, on classera les contusions corticales, les hématomes extra-cérébraux, les autres hémorragies intracérébrales et masses de densité hétérogène, et toutes les lésions secondaires à l’hypertension intracrânienne. On classera "lésions diffuses" tout ce qui n’est pas "lésions focales", c’est-à-dire les lésions axonales, ischémiques, ou oedémateuses. Dans une série de 746 traumas crâniens sévères fermés, les lésions diffuses représentent 55,4% de l’ensemble des lésions et les massesexpansives intracrâniennes 41,8%.

lésion primaire ou secondaire ? Parmi les lésions primaires figurent toutes celles qui se produisent au cours des premières 250 millisecondes. Les lésions secondaires se constituent plus tard, soit rapidement en quelques minutes, soit en quelques heures après le trauma. Prenons deux exemples : les lésions directes ou indirectes de contusion cérébrale sont des lésions primaires, alors que les hématomes intracrâniens peuvent être considérés comme lésions secondaires au même titre que les lésions ischémiques corticales. Parmi les lésions secondaires, il faut citer le registre particulier des lésions cellulaires secondaires constituées à partir de processus métaboliques et biochimiques qui se succèdent en une sorte de cascade fatale conduisant à la mort cellulaire.

lésion ouverte ou fermée ? Les traumatismes crâniens ouverts se distinguent de ceux qui sont dits fermés parce que l’enveloppe cutanée, osseuse et dure-mérienne n’est plus intacte. On décrit ici les plaies cranio-cérébrales et les plaies pénétrantes par projectile ou corps étranger.

lésions retardées ou tardives ? Ici, les lésions se produisent à distance du trauma initial, à quelques jours (lésion retardée), ou quelques semaines ou mois (lésion tardive). Par exemple, le traumatisme initial a créé une brèche de la dure-mère avec issue de liquide cérébro-spinal, suivi d’un ensemencement bactérien et d’une infection méningée. Autres exemples, celui de l’hématome sousdural chronique de la convexité, ou encore celui de l’hydrocéphalie chronique post-traumatique.

Nous présenterons ces lésions dans l’ordre suivant :


1- Les lésions diffuses

2- Les lésions focales

3- Les lésions crâniennes ouvertes

4- Les lésions retardées ou tardives

5- Les lésions vasculaires ou nerveuses


CLASSIFICATION DES LESIONS

LESIONS INTRACRANIENNES



1. Les lésions cérébrales diffuses


Il est démontré qu’un coma immédiat et prolongé survient chez la moitié des traumatismes crâniens sévères avec absence de toute masse expansive intracrânienne au scanner. Dans cette situation, la mortalité représente 35% de l’ensemble des décès imputables aux traumas sévères. Le terme de lésions cérébrales diffuses utilisé pour désigner cliniquement ce tableau regroupe plusieurs types de lésions touchant le tissu cérébral telles qu’une ischémie, un oedème, ou une rupture axonale. Ces lésions d’origine diverse peuvent être isolées, ou associées entre elles, ou associées à d’autres lésions hémorragiques. Elles peuvent à elles seules engager le devenir vital et fonctionnel du patient. Dans une série de 746 traumas crâniens sévères, parmi les 414 patients présentant un syndrome de lésions cérébrales diffuses, 129 (31,1%) ont gardé des séquelles majeures, 66 (15,9%) sont en état végétatifs, et 99 (23,9%) sont décédés.


Parmi les principales lésions cérébrales diffuses, nous retiendrons seulement les lésions axonales diffuses qui forment l’essentiel des lésions nerveuses, et les syndromes de gonflement cérébral aigu hémisphérique, car elles sont spécifiques et leur physiopathologie complexe a été récemment éclairée par de nombreux faits expérimentaux.


A- Les Lésions Axonales Diffuses

Le terme de "lésions axonales diffuses" désigne un concept anatomo-clinique qui se définit par :


des lésions microscopiques très spécifiques de rupture axonale suivie d’une rétraction puis d’une dégénérescence,

un tableau clinique de traumatisme crânien développé à la faveur d’un mécanisme lésionnel par accélération et où l’atteinte clinique dominante est la perte de conscience immédiate prolongée et durable (le coma d’emblée).

Ce diagnostic est évoqué en présence d’un traumatisme souvent grave qui ne présente pas de lésions intracrâniennes expansives ou de lésions de contusion cérébrale. Ces lésions diffuses touchant les axones ont été initialement décrites il y a plus de 25 ans à l’occasion de l’examen anatomopathologique cérébral de patients décédés après une longue période d’état végétatif post-traumatique. En raison du caractère très diffus des lésions observées au niveau du cerveau comme du tronc cérébral, le terme de lésions axonales diffuses s’est progressivement imposé. Plus récemment, des lésions identiques ont été remarquées dans l’étude au microscope de cerveaux de patients décédés dans les heures qui suivirent l’accident, suggérant que les forces mises en jeu à l’occasion du trauma avaient pu immédiatement étirer les axones, expliquant leur rupture puis leur rétraction leur donnant cet aspect caractéristique en massue (boules de rétraction).


Ces lésions macroscopiques et microscopiques par étirement sont retrouvées dans des zones de moindre résistance des axones (zone de transition entre substance grise et substance blanche, substance blanche périventriculaire, corps calleux). Ces constatations chez l’homme ont reçu une confirmation expérimentale dans un modèle animal reproduisant un traumatisme crânien par accélération-décélération sans impact direct. Ces travaux ont aussi démontré que la sévérité de l’état clinique de l’animal dépendait autant de la localisation de ces lésions axonales que de leur nombre.


Aujourd’hui la pathogénie de ces lésions axonales apparaît sûrement plus complexe que ne l’avançait l’hypothèse originale qui faisait de ces lésions une réponse primaire au trauma. Des preuves expérimentales et cliniques existent pour démontrer que, dans nombre de cas, la rupture axonale par étirement (axotomie primaire) n’est pas le seul, premier et dernier évènement. Les modifications initiales du flux axonal entraîneraient un gonflement progressif et localisé de l’axone, ce qui aboutirait à sa rupture secondaire de 12 à 72 heures après le trauma (axotomie secondaire).


a. Présentation clinique

Aucun signe clinique n’est caractéristique du tableau de lésions axonales diffuses, hormis la perte de connaissance initiale. Cependant, un groupe de faits est retrouvé chez les patients porteurs de telles lésions isolées :


le mécanisme du trauma comporte une accélération de forte intensité (accident de la voie publique)

les lésions osseuses crâniennes sont rares

la perte de conscience immédiate a été prolongée

un intervalle libre ou lucide est rarement noté

il y a peu ou pas de signes neurologiques déficitaires en foyer.

Cliniquement, la sévérité de l’atteinte axonale diffuse s’exprime d’abord par la durée de la perte de connaissance qui se prolonge plus de 6 heures. Il est démontré que même un traumatisme crânien mineur ou léger peut s’accompagner de lésions axonales visibles en grand nombre dans la substance blanche à l’IRM. Mais, seule la présence de ces lésions au niveau du corps calleux et du tronc cérébral est significativement associée à un pronostic défavorable.


b. Aspects neuroradiologiques

L’examen tomodensitométrique ne peut mettre en évidence la rupture axonale que si elle s’accompagne d’une pétéchie hémorragique par rupture d’un micro-vaisseau dont la direction était parallèle à celle de l’axone. Ces micro-lésions vasculaires sont souvent confluentes prenant alors l’aspect caractéristique d’une hémorragie intracérébrale punctiforme, de 2 à 6 millimètres ou parfois plus. On parle parfois à tort de lésions de contusion quand le foyer hémorragique dépasse 2 cm de diamètre. Une seule lésion visible est suffisante pour évoquer le diagnostic de "lésions axonales diffuses". Par la supériorité de sa définition, l’Imagerie par Résonance Magnétique permet de mieux distinguer les lésions axonales diffuses dès la phase initiale du trauma sous la forme de signaux hyperintenses, mais sa mise ne oeuvre est plus complexe et n’est pas à ce jour justifiée par une modification de la prise en charge médicale usuelle de ces patients.


B- Gonflements cérébraux aigus

Après un trauma même bénin en apparence, une augmentation aiguë du volume du cerveau peut se produire en quelques minutes. La situation clinique du patient s’aggrave progressivement et proportionnellement au degré de sévérité de cette réaction vasomotrice. Cette réaction aiguë de gonflement cérébral (brain swelling des auteurs anglo-saxons) est gravissime et souvent fatale en raison de l’hypertension intracrânienne aiguë qu’elle génère. Elle est notée avec une plus grande fréquence chez l’enfant et l’adolescent. Elle peut être la seule lésion constatée. Elle succède souvent àl’évacuation chirurgicale d’un hématome intracrânien.


Ce gonflement cérébral peut être unilatéral focal ou hémisphérique, ou bilatéral et diffus. Plusieurs hypothèses physiopathologiques sont avancées pour en expliquer son origine et son déroulement avec comme point de départ une augmentation du volume sanguin intracérébral par paralysie de la vasomotricité cérébrale, ou une augmentation du contenu en eau du cerveau, c’est-à-dire un oedème cérébral aigu. Le terme si approprié de "brain swelling" n’a pas reçu de traduction satisfaisante. Aussi, est-ce à tort que le terme "d’oedème cérébral diffus" est souvent utilisé dans le langage courant pour désigner ce tableau.


Le gonflement cérébral se présente au scanner sous la forme d’une augmentation de volume d’un hémisphère devenu hypodense. Ce gonflement entraîne un déplacement des structures cérébrales vers le côté opposé, c’est-à-dire un engagement. Ce gonflement peut intéresser les deux hémisphères avec effacement des ventricules cérébraux et de toutes les citernes arachnoïdiennes.


2. Les Lésions Cérébrales Focales


A - hématome extra-dural

L’hématome extra-dural est une collection de sang entre la dure-mère (méninge externe du cerveau) et la voûte crânienne (table interne de l’os du crâne). En général, une plaie de l’artère méningée moyenne ou de ses branches à l’occasion d’une fracture du crâne est à l’origine du saignement. L’importance de la brèche vasculaire et le niveau de pression artérielle systémique déterminent la rapidité d’expansion de l’hématome. Cependant, le volume et l’étendue de l’hématome sont limités par la résistance qu’oppose la dure-mère à être décollée de l’os, et à la contre-pression qu’exerce progressivement l’hypertension intracrânienne. La localisation de l’hématome la plus fréquente est temporale. Sa conséquence directe et immédiate est une compression latérale du tronc cérébral avec hypertension intracrânienne aiguë. C’est une urgence neurochirurgicale.


a. présentation clinique

Typiquement, l’hématome extra-dural (HED) se révèle après un intervalle libre, c’est-à-dire que les signes de compression surviennent bien après le trauma et alors que la conscience du blessé s’est restaurée complètement. On note l’apparition secondaire de roubles de la vigilance, d’une mydriase du côté de la lésion, et d’une hémiplégie du côté opposé de la lésion. Ces signes apparaissent en quelques minutes (HED suraigu), en quelques heures (HED aigu), ou au bout de 24h (HED subaigu).

Nous citerons quelques formes cliniques particulières : la forme retardée où les signes ne surviennent que plus de 48 heures après l’accident, la forme associée à une contusion cérébrale située sous l’hématome, la forme du nourrisson ou de l’enfant qui surviennent par fois après un traumatisme mineur même en l’absence de fracture du crâne, et enfin la forme dite non chirurgicale en raison du faible volume de l’hématome nécessitant tout de même une surveillance organisée.


b. aspect neuroradiologique

Le scanner cérébral est l’examen essentiel au diagnostic. Il montre une image hyperdense, en lentille biconvexe, refoulant et déformant le cerveau.


c. le traitement chirurgical

L’objectif du traitement chirurgical est d’assurer une décompression cérébrale en évacuant l’hématome, et de pratiquer l’hémostase de la plaie vasculaire. Une crâniotomie (volet osseux) sera pratiquée en regard de l’hématome. Habituellement on retrouve un trait de fracture. La décompression a lieu dès que le volet osseux est soulevé. Puis l’aspiration de l’ensemble des caillots est pratiquée suivie de l’hémostase de l’artère méningée moyenne ou de ses branches, ou de la dure-mère, ou de la tranche osseuse. La fermeture de la crâniotomie s’effectue sur un drain aspiratif mis en place dans l’espace extra-dural. La mise en place d’un capteur de pression intracrânienne est recommandée si le patient est dans le coma au moment de l’opération.


L’hématome extra-dural est une urgence neurochirurgicale. Opéré à temps, le patient doit guérir sans séquelles. En France, la mortalité globale de l’hématome extra-dural serait de 15%, mais dépasserait 45% en cas de trauma crânien grave associé. Cette lésion intracrânienne expansive post-traumatique garde une valeur symbolique en neurochirurgie, en raison de sa totale curabilité par une intervention neurochirurgicale simple, mais aussi et surtout parce que, traditionnellement, elle a valeur de démonstration de l’intérêt d’une surveillance étroite de tout traumatisme crânien même mineur pour détecter toute aggravation secondaire liée à une cause curable. Pourtant, l’hématome extra-dural est une complication rare d’un traumatisme crânien fermé. On estime sa fréquence globale à 3 ou 4% de l’ensemble des traumatismes crâniens. Il touche surtout les traumatisés crâniens jeunes et devient plus rare après 45 ans. Il est associé à un traumatisme crânien grave dans 15% des cas environ. La présence d’une fracture du crâne multiplie par 25 le risque de constitution d’un hématome extra-dural .


B - hématome sous-dural aigu

On appelle hématome sous-dural toute collection hémorragique intracrânienne située entre la convexité externe du cerveau et la face interne de la dure-mère. Son origine est en général une plaie par déchirure ou arrachement d’une veine de la superficie du cerveau occasionnée par l’ébranlement cérébral mis en jeu au cours du phénomène d’accélération-décélération. D’autres fois, l’hématome sous-dural aigu accompagne une contusion corticale cérébrale ; il est alors moins volumineux, et on dit alors qu’il s’agit d’un hématome satellite. Une hémorragie dans l’espace sous-dural ne rencontre qu’une faible contre-pression exercée par le cerveau et peut donc avec facilité s’étendre et se développer sur toute la convexité cérébrale. Mais la plaie vasculaire s’arrête par tamponnement car une hypertension intracrânienne s’installe rapidement. Une compression directe du cortex cérébral par l’hématome et une réaction de gonflement cérébral ajoutent leurs effets et sont à l’origine de lésions ischémiques corticales étendues sévères. C’est une urgence neurochirurgicale.


a. présentation clinique

Il n’y a pas de présentation clinique particulière à l’hématome sous-dural aigu. Comme l’hématome extra-dural, il peut être suspecté devant une aggravation secondaire d’un déficit moteur ou de troubles de la vigilance. Habituellement, il se présente sous la forme d’un coma d’emblée avec des signes d’hypertension intracrânienne.


b. aspects neuroradiologiques

Le diagnostic est facilement assuré par un scanner cérébral. L’image caractéristique est celle d’un décollement hyperdense de 1 à 2 cm d’épaisseur, situé sur l’ensemble de la convexité cérébrale, et accompagné d’un déplacement proportionnel des structures médianes du cerveau. Le scanner doit aussi rechercher des lésions cérébrales associées telles que contusion corticale, hémorragie intracérébrale ou lésions pétéchiales de la substance blanche, du corps calleux et du tronc cérébral. Il est inutile d’essayer de rechercher l’origine vasculaire de l’hématome sous-dural aigu.


c. traitement

L’objectif du traitement neurochirurgical de l’hématome sous-dural aigu est l’hypertension intracrânienne, car le saignement d’origine veineuse s’est arrêté par tamponnement. La décompression s’effectue à travers une craniotomie (volet osseux) centrée sur l’hématome. L’aspiration des caillots sanguins mêlés avec du sang liquide parfois mélangé à du liquide plasmatique ou du liquide cérébrospinal, doit être aussi complète que possible. L’hémostase a parfois besoin d’être complétée par une coagulation ou tamponnement d’une veine. Ce geste est alors toujours difficile car il porte sur des veines corticales suspendues, étirées, fragiles, et dont l’accès n’est pas toujours évident. Si l’hématome sous-dural aigu est satellite d’une contusion corticale, celle-ci sera également nettoyée et l’hémostase complétée. L’évacuation d’un l’hématome intra-cérébral associé peut être aussi nécessaire. La duremère est refermée de façon étanche. Le volet osseux est repositionné et fixé. La mise en place d’un capteur de pression intracrânienne est indiquée à la fin de l’intervention. Un examen tomodensitométrique postopératoire est justifié et recommandé 6 à 12 heures après l’intervention.


L’hématome sous-dural aigu est une lésion dont la fréquence est au moins égale à celle de l’hématome extra-dural. Il peut se produire après un accident de la voie publique comme après une chute de sa hauteur. L’âge moyen de survenue est plus élevé que celui de l’hématome extra-dural, car le risque d’hématome sous-dural aigu augmente avec le risque de chute lié à l’âge. Comme l’hématome extradural, cette lésion est génératrice d’une hypertension intracrânienne aiguë ou suraiguë et constitue une urgence neurochirurgicale. Le pronostic de cette lésion est défavorable avec une mortalité élevée (de 57 à 90% des patients, avec une myenne à 65%). Il s’agit d’une lésion très sévère qui se développe de façon rapide entraînant une hypertension intracrânienne majeure, d’une lésion rarement isolée, et enfin d’une lésion responsable de dommages cérébraux secondaires majeurs. Des troubles de la coagulation peuvent redoutablement compliquer la prise en charge de cette lésion hémorragique.


C - contusions cérébrales

On appelle contusions cérébrales, toutes les lésions hémorragiques et nécrotiques traumatiques localisées au niveau des sillons corticaux cérébraux et pouvant s’étendre à travers le cortex vers la substance blanche.


Les contusions font suite à un traumatisme crânien direct ou indirect relativement important. Elles peuvent être focalisées ou au contraire très étendues en surface ou en profondeur (en volume). Ce degré d’extension marque le degré de sévérité de la contusion. Le terme de contusion de surface décrit bien la situation lorsque la lésion est limitée au cortex et s’étend peu en profondeur. Le terme de contusion hémorragique décrit mieux une lésion corticale plus ou moins étendue associée à une collection hémorragique sous-corticale. Les foyers de contusion peuvent être multiples, ou bilatéraux. L’âge du patient et les antécédents d’éthylisme chronique sont des facteurs de gravité de ces lésions. On distingue des contusions directes dites de "coup", ou directes, situées en regard de l’impact et des contusions indirectes dites de "contrecoup", ou indirectes, situées à distance de l’impact. C’est l’exemple d’une contusion du lobe temporal provoquée par une chute en arrière avec impact crânien occipital. Lorsque cette contusion affecte les deux pôles frontaux et temporaux, elle est dite "quadripolaire". Le pronostic de ces lésions dépend de leur étendue, et des lésions cérébrales associées. Ces lésions de contusion sont la source d’un oedème cérébral vasogénique évolutif. Lorsque la lésion est expansive et localisée à un lobe temporal ou frontal, un traitement chirurgical peut être indiqué.


a. Aspects Neuroradiologiques

Sur l’examen tomodensitométrique initial une contusion hémorragique est facile à reconnaître, car on remarque la présence de plusieurs lésions hyperdenses hémorragiques confluentes situées sur la convexité cérébrale surtout en regard du pôle temporal ou frontal. Il est nécessaire d’effectuer un examen tomodensitométrique de contrôle 24 à 48 heures après le premier. La constatation d’une aggravation du volume des lésions hémorragiques est fréquente, et ne doit pas surprendre. Cette augmentation de la lésion initiale n’a pas toujours eu de conséquence clinique. Après 48 heures d’évolution, il apparaît une zone d’hypodensité marquant la présence d’un oedème cérébral autour de la lésion.


b. Principes du traitement chirurgical Les indications du traitement neurochirurgical d’une contusion cérébrale sont rares. Lorsque le foyer hémorragique est focalisé et étendu, il peut jouer le rôle d’une masse compressive évolutive et créer une hypertension intracrânienne. Dan ces cas, une crâniotomie décompressive peut être indiquée. En fin d’intervention, il peut être indiqué de mettre en place un capteur de pression intracrânienne. Un contrôle tomodensitométrique postopératoire est utile et recommandé.


D - autres hémorragies intracrâniennes post-traumatiques

En dehors de l’hématome intra-crânien extra-cérébral (hématome extra-dural ou sous-dural aigu), d’une contusion hémorragique avec ou sans hématome intra-parenchymateux associé, l’examen tomodensitométrique initial peut révéler la présence :


d’une hémorragie des noyaux gris centraux,

d’hémorragies para-sagittales,

d’une hémorragie du tronc cérébral,

d’une hémorragie méningée,

d’une hémorragie ventriculaire

d’une hémorragie intracérébrale retardée

Toutes ces lésions hémorragiques peuvent être ou non associées les unes aux autres, chacune d’entre elles pouvant avoir un degré de sévérité particulier pesant proportionnellement sur le pronostic. Toutes ces lésions expriment toujours la gravité du traumatisme crânien initial. Elles se rencontrent principalement dans le cadre de ce que l’on désigne sous le terme de "lésions cérébrales diffuses" qui regroupent indistinctement les lésions autres que les hématomes ou contusions, c’est-à-dire les lésions axonales diffuses, l’oedème cérébral diffus et l’ischémie cérébrale diffuse.


3. Lésions Ouvertes


A - plaies crânio-cérébrales

Par définition, une plaie cranio-cérébrale affecte le scalp, la voûte osseuse crânienne, la dure-mère, et le cerveau. La présence de matière cérébrale dans la plaie du scalp est un signe pathognomonique.

Cette plaie cérébrale peut être punctiforme ou délabrante. C’est une urgence neurochirurgicale.


Une plaie cranio-cérébrale peut être provoquée soit par un objet pénétrant (couteau, aiguille, clou), ou un objet contondant (branche d’arbre, batte de baseball), soit par un choc direct violent à l’occasion d’une accélération-décélération (choc contre un pylône). Dans le premier cas, la tête n’était pas supposée être en mouvement au moment du choc, et on dit que toute l’énergie traumatique s’est épuisée dans le foyer traumatique. Ici la lésion est focale, et le patient ne se présente pas de désordres majeurs de la conscience. Dans le dernier cas, des lésions cérébrales diffuses sont aussi présentes et leurs conséquences peuvent même dominer le tableau de coma d’emblée.


Le scanner cérébral initial renseigne sur les dégâts osseux et cérébraux. Il vérifie l’absence d’autres lésions associées. La brèche de dure-mère ouvre la cavité endocrânienne, et de l’air peut y pénétrer. On parle alors de pneumatocèle.


L’incidence des plaies cranio-cérébrales a été très sérieusement réduite par l’obligation du port du casque sur la route et sur les lieux de travail exposés. Le pronostic vital du patient est rarement en jeu lorsqu’il s’agit d’une lésion isolée. Le pronostic fonctionnel dépend de la topographie et de la sévérité de la lésion cérébrale focale. Le risque de séquelles fonctionnelles est toujours présent. Enfin, toute plaie cranio-cérébrale comporte un risque infectieux immédiat et un risque de comitialité tardive.


Le traitement a pour objectifs le parage de l’ensemble de la plaie, l’hémostase de la plaie cérébrale et la fermeture de la dure-mère et du revêtement cutané. Si une perte de substance osseuse persiste, elle ne peut immédiatement être remplacée par un greffon osseux ou acrylique en raison du risque infectieux, et devra faire l’objet d’une cranioplastie ultérieure. La fermeture de la plaie du scalp nécessite parfois de recourir à la technique du lambeau de rotation.


B- plaies pénétrantes par arme a feu

Les plaies cranio-cérébrales par arme à feu voient leur fréquence augmenter dans le domaine civil (autolyse ou acte de violence). La gravité de la lésion dépend de la vitesse initiale du projectile qui détermine son pouvoir de pénétration. C’est une urgence neurochirurgicale. De la pratique militaire sont nés les principes du traitement neurochirurgical de ces plaies crâniennes et les principes de prévention des complications médicales comme l’infection et la comitialité tardive.


Par ordre de sévérité croissante, on distingue :

1- des plaies dites par enfoncement, où seule la voûte crânienne est atteinte par le projectile qui vient s’y écraser. La lésion osseuse est comminutive, mais aucun fragment osseux n’a pénétré la dure-mère. Une contusion corticale sous l’impact est habituelle.

2- des plaies dites par pénétration, lorsque le projectile a traversé l’os et est resté dans la boîte crânienne. La lésion cérébrale est présente au niveau du point de pénétration et tout le long du trajet du projectile qui peut avoir ricoché sur la table interne opposée ou s’être fragmenté. Cette lésion est aggravée par la diffusion de l’onde de choc et la dissipation de l’énergie cinétique du projectile dans des milieux de densité hétérogène.

3- des plaies dites par perforation, où le projectile a traversé la boîte crânienne de part en part.


Le scanner cérébral permet d’examiner le projectile, son trajet, et les dégâts hémorragiques cérébraux. A ces lésions primaires, il faut ajouter toutes les lésions secondaires au premier rang desquelles figurent les lésions hémorragiques intracrâniennes (hématome extra-dural, sous-dural, intraparenchymateux). Ces lésions vont évoluer très rapidement et sont la cause d’un décès précoce.


Voici quelques principes du traitement neurochirurgical du traitement chirurgical

1- une évacuation chirurgicale en urgence d’un hématome compressif unilatéral est indiquée si le patient n’est pas dans le coma d’emblée.

2- le parage du point d’entrée est une indication non urgente qui a pour but d’éliminer le sphacèle hémorragique et les débris osseux au niveau de la plaie cérébrale. La fermeture de la brèche durale et du revêtement cutanée sera soigneuse.

3- l’ablation du corps étranger n’est pas une indication formelle.


Le pronostic vital dépend de la situation clinique du patient au moment de son admission et après ressuscitation. Lorsqu’il se présente avec un score à 3 sur l’échelle de Glasgow, la mortalité est de 99% des cas. Lorsque le score est évalué entre 4 et 7, la mortalité est de 72%. Elle décroît pour atteindre 27% si le patient est évalué entre 8 et 12, et n’est que de 1% si le score GCS du patient est de 13, 14, ou 15. La présence d’une hémorragie méningée au scanner serait un élément de mauvais pronostic (68% de décès).


4. Lésions Tardives


A- les lésions infectieuses intracrâniennes


a. Méningites post-traumatiques


1- Méningite précoce

Une méningite précoce peut se déclarer dans les premiers jours qui suivent un trauma crânien ayant comporté une brèche ostéodurale extériorisée par une rhinorrhée, une otorrhée, ou une pneumatocèle. Le germe est habituellement un pneumocoque, ou tout autre germe saprophyte des voies aériennes supérieures et des cavités sinusales de la face.


2- Méningite tardive

Une méningite peut se déclarer quelques jours, quelques mois, ou quelques années après un trauma crânien. Une méningite à répétition est toujours d’origine post-traumatique jusqu’à preuve du contraire.

La brèche ostéo-durale responsable est en général située au niveau de l’étage antérieur de la base du crâne, c’est-à-dire au niveau de l’ethmoïde et du sphénoïde. Plus rarement, il s’agit d’un point d’entrée mastoïdien. La mise en évidence de la brèche n’est pas toujours aisée. On peut s’aider d’un scanner effectué après injection cisternale de produit de contraste. Le traitement de la brèche ostéodurale est neurochirurgical.


3- Méningite post-opératoire

Une infection méningée peut succéder à une intervention neurochirurgicale septique sur un foyer ouvert d’attrition cérébrale. Le germe est habituellement un Gram négatif. Une méningite peut compliquer la mise en place d’une sonde de pression intracrânienne ou d’une sonde de drainage ventriculaire


b. Abcès cérébral post-traumatique


Un abcès cérébral peut compliquer tout traumatisme crânien ouvert, d’autant plus que des fragments osseux pénétrants sont restés in situ, ou qu’un corps étranger d’une autre nature a pénétré la boîte crânienne, ou qu’un foyer d’attrition n’a pas été régularisé. Le scanner permet un diagnostic facile, car l’abcès ne se présente pas différemment d’un abcès cérébral en général. Il permet le repérage en vue d’un prélèvement ou d’une ponction en condition stéréotaxique. Le traitement local est associé à un traitement médical anti-infectieux prolongé.


c. Empyème sous-dural


Habituellement, l’empyème est secondaire à une infection sinusale ou mastoïdienne post-traumatique. Le pus présent dans l’espace sous-dural prend un aspect hypodense au scanner. Un injection de produit de contraste montre une fixation corticale très anormale. Une imagerie en résonnance magnétique avec injection de gadolinium serait encore plus démonstrative. Une infection post-opératoire peut être à son origine. Exceptionnellement, il peut s’agir d’une infection d’un hématome sous-dural chronique à l’occasion d’une septicémie. L’empyème sous-dural se traduit par des crises focales et un déficit neurologique. Son traitment est neurochirurgical : un drainage et un rinçage abondant de la cavité permettent un contrôle de l’infection en conjonction avec un traitement anti-infectieux par voie générale.


B - hématome sous-dural chronique


On désigne par hématome sous-dural chronique de la convexité cérébrale une collection hémorragique enkystée occupant l’espace virtuel sous-dural entre l’arachnoïde cérébrale en dedans et la face interne de la dure-mère en dehors. C’est une urgence neurochirurgicale.


Cette lésion ne doit pas être confondue avec un hématome sous-dural aigu de constitution immédiate.

D’origine traumatique, cet hématome est particulier car il a une évolution progressive en quelques jours ou quelques semaines. Du côté du cerveau, cet hématome provoque par son volume croissant une déformation cérébrale par compression avec une hypertension intracrânienne. Du côté de la duremère, il provoque une réaction inflammatoire qui s’organise et devient responsable d’une exsudation plasmatique et de troubles locaux de la coagulation (hyperfibrinolyse et coagulopathie de consommation). Des microsaignements répétés contribuent à l’augmentation en volume de l’hématome. Celui-ci peut être une lésion isolée unilatérale ou bilatérale, faire ou non suite à un hématome sous-dural aigu, ou encore compliquer un traitement anticoagulant au long cours. Les signes de découverte sont des céphalées, une déficit progressif, des troubles psycho-intellectuels, un coma. Le scanner est l’examen indispensable au diagnostic.


Complication tardive post-traumatique fréquente, elle affecte surtout les patients âgés de plus de 65 ans et est très rare avant 30 ans chez l’adulte. L’hématome sous-dural chronique est habituellement unilatéral, mais est bilatéral dans 15% des cas environ. L’incidence de cette affection serait de 1 à 2 pour 100000. Rapportée à l’âge de découverte, cette incidence serait de 7 pour 100000 chez les patients âgés de plus de 70 ans. Le nourrisson peut subir des traumatismes crâniens mineurs dont les conséquences ne sont pas immédiates. Le traumatisme crânien de l’enfant secoué en est un exemple. Avant le 6ème mois le tableau clinique est celui d’une hypertension intracrânienne évolutive avec retard psychomoteur, augmentation du périmètre crânien, distension de la fontanelle antérieure. Après le 6ème mois le tableau d’hématome sous-dural chronique est toujours celui d’une hypertension intracrânienne, mais ses signes sont moins évidents. L’apparition d’un déficit moteur est alors souvent le signe révélateur.


Le scanner cérébral montre la présence d’un décollement entre le cerveau et la voûte crânienne (décollement crânio-cortical) discrètement hyperdense par rapport au cerveau sous-jacent, plus rarement isodense ou encore hypodense. Ce décollement intéresse une large étendue de la convexité cérébrale, sinon sa totalité. Il n’est pas toujours uniforme, comme s’il existait des zones d’accolement entre cortex cérébral et la dure-mère. Dans la forme unilatérale, le retentissement du syndrome de masse est majeur avec déplacement des ventricules latéraux et du IIIème ventricule. L’examen IRM est supérieur au scanner et précise mieux la présence et l’étendue de l’hématome sous-dural, mais il n’est que rarement justifié.


Le traitement de l’hématome sous-dural chronique est une urgence neurochirurgicale. Un geste simple de drainage de la collection sous-durale obtient la guérison du patient en quelques jours. Plusieurs modalités de traitement sont possibles. Cette intervention peut se pratiquer sous anesthésie locale, ce qui allège le geste chirurgical principalement chez les patients âgés ou fatigués. La mortalité globale de cette affection est faible, estimée à 2 ou 3%. Une récidive précoce est possible mais peu fréquente (de 3 à 6%).


C- hydrocéphalie post-traumatique


On parle d’hydrocéphalie post-traumatique lorsqu’une dilatation ventriculaire évidente est constatée sur un scanner de contrôle effectué quelques jours après un trauma. On en distingue deux variétés étiologiques :

1- l’une dite hydrocéphalie passive consécutive à une atrophie cérébrale post-traumatique en regard d’une contusion ou d’une plaie cranio-cérébrale. Il faut la distinguer d’une "porencéphalie posttraumatique" aussi d’origine atrophique. Sous ce terme, on désigne une cavité kystique intracérébrale en contact avec le cortex externe ou le ventricule cérébral.

2- l’autre appellée hydrocéphalie active car secondaire à des troubles de la circulation et de la résorption du liquide cérébro-spinal (LCS) aboutissant à une augmentation de la pression intracrânienne.


Ces deux formes peuvent être associées à l’occasion d’un trauma crânien sévère. Le diagnostic étiologique repose sur des arguments cliniques, morphologiques, et manométriques. Dans le cas d’une hydrocéphalie active, une dérivation du LCS peut être proposée. Son succès, parfois spectaculaire, dépend des lésions primaires associées et de la durée d’évolution de l’hydrocéphalie.


5. Lésions Vasculaires ou Nerveuses Intracrâniennes


A- LES LESIONS VASCULAIRES


Les vaisseaux intra-crâniens (artère carotide interne, tronc basilaire, artères corticales) peuvent être directement ou indirectement lésés à l’occasion d’une lésion osseuse fracturaire de la base, ou en raison d’un étirement excessif aboutissant, par exemple, à l’arrachement d’une branche de division secondaire.


Pour les plus graves d’entre elles, ces lésions vasculaires sont fatales d’emblée. D’autres fois, la lésion ne se révèle que secondairement (mécanisme de la plaie artérielle "sèche") ou tardivement (anévrisme ou fistule post-traumatique). Le diagnostic de la lésion vasculaire peut être suspecté mais n’est démontré que par une angiographie.


1. Les lésions de la carotide interne cervicale haute.

L’artère carotide interne peut être lésée dans son entrée à la base du crâne, dans son trajet à travers l’os pétreux, ou à son entrée dans le sinus caverneux. La plaie artérielle s’extériorise sous la forme d’un épistaxis sévère et rebelle au tamponnement postérieur. Seule une angiographie permet de déterminer la source du saignement avec certitude. Une occlusion endovasculaire de la carotide interne ou des branches de la carotide externe peut être nécessaire. La lésion peut être une dissection artérielle en regard de C1-C2, qui peut aller jusqu’à l’occlusion complète de la carotide et provoquer une ischémie cérébrale hémisphérique.


2. Les lésions de la carotide interne dans le sinus caverneux

L’artère carotide interne peut être étirée dans sa portion intra-caverneuse. Cette fistule artério-veineuse ne s’extériorise qu’exceptionnellement par une épistaxis ou par une hémorragie méningée car elle reste strictement limitée à l’intérieur du sinus caverneux. Elle provoque une hyperpression veineuse qui se répercute dans la veine ophtalmique. Le signe subjectif initial peut être la perception par le patient d’un souffle systolique intra-crânien. Mais en règle le signe de découverte est une "exophtalmie pulsatile non axile". La protrusion oculaire est évidente avec un oedème palpébral. L’oeil est rouge avec une dilatation des veines sclérales, Au degré maximum, l’oeil est immobile (ophtalmoplégie) et dévié vers le bas. Des troubles trophiques de la cornée sont possibles.

Il n’y a, à ce jour, aucune indication neurochirurgicale d’un abord direct de ces fistules traumatiques carotido-caverneuses. Seul un traitement par voie endovasculaire est indiqué. Au mieux, la fistule artério-veineuse est directement occluse avec conservation de la perméabilité de l’axe vasculaire carotidien. Au pire, l’occlusion endovasculaire (ou le trapping) réalise l’occlusion de l’artère carotide interne qui n’est décidée qu’après un test de clampage. Ce traitement est suivi d’un très fort taux de succès immédiat et à distance


3. Les lésions du tronc basilaire

Elles sont très rares et fatales. Elles ne surviennent qu’à l’occasion de fracture grave transversale de la base du crâne.


B- LES LESIONS NERVEUSES


Tous les nerfs crâniens sont menacés à l’occasion d’un trauma crânien. Certains sont menacés par un choc direct comme le nerf olfactif ou le nerf optique à l’occasion d’une fracture de l’étage antérieur de la base du crâne, ou comme le nerf facial et le nerf auditif vulnérables au cours d’une fracture du rocher. Mais tous sont menacés de lésion indirecte à l’occasion d’un trauma par accélérationdécélération responsable d’un étirement ou d’une contusion du nerf contre les structures ostéo-durales de la base du crâne. Ils peuvent aussi subir les effets de la propagation de l’onde de choc, ou d’une réaction locale oedémateuse post-commotionnelle.

Ces lésions nerveuses sont exceptionnellement démontrées directement au scanner ou par IRM. Elles sont en principe unilatérales. Les signes de leur atteinte clinique sont évidents et immédiats. Cependant, il faut distinguer les atteintes primaires avec perte immédiate de la fonction, des atteintes secondaires dont les signes cliniques sont différés de quelques heures ou quelques jours. Dans le premier cas, la lésion serait anatomique, avec de faibles chances de récupération. Dans le second cas, la lésion est fonctionnelle, ou réactionnelle à un oedème ou une ischémie locale, et les chances de récupération seraient plus grandes. L’exemple type est la paralysie faciale d’apparition secondaire et de pronostic favorable survenant après un traumatisme du rocher.


Le nerf olfactif (I) est atteint dans 7% environ de l’ensemble des traumas crâniens. Son atteinte se manifeste par une perte de l’odorat et une perte partielle du goût. Le nerf optique (II) peut être atteint dans son trajet osseux (le canal optique de la base du crâne) par une esquille osseuse d’une fracture de la base. Les nerfs oculomoteurs (III, IV et VI) peuvent subir une lésion au niveau orbitaire, ou sur leur trajet cisternal au sortir du tronc cérébral. Le nerf facial (VII) est le nerf crânien le plus exposé à une lésion directe à l’occasion d’un traumatisme du rocher. Une fracture transversale du rocher s’accompagnerait d’une paralysie faciale dans 30% à 50% des cas, alors que cette incidence est de 10% à 25% lors des fractures longitudinales. Une lésion directe du nerf auditif (VIII) ou cochléovestibulaire est exceptionnelle. Le traumatisme porte surtout sur la cochlée ou le labyrinthe et encore plus souvent sur la chaîne ossiculaire dans l’oreille moyenne. La seule propagation à la base du crâne de l’onde de choc peut endommager les structures cochléaires et vestibulaires.


C- Evaluation initiale du traumatisé crânien

Dans la pratique, l’évaluation d’un traumatisé crânien peut paraître simple car nous ne disposons que de l’évaluation de son état clinique initial et du scanner cérébral initial. Il n’y a toujours pas à ce jour de marqueur biologique fiable de la sévérité d’un trauma crânien. Ce sont donc les seuls outils dont nous disposons pour répondre aux trois questions suivantes :


quel est le degré de sévérité ?

y a-t-il des lésions cérébrales ?

quel sera le pronostic ?

On ne peut s’empêcher de remarquer le mélange de ces trois questions élémentaires si étroitement liées. On repère aussi toute la fragilité de l’examen clinique initial et du premier scanner cérébral puisque le retour de la conscience peut se faire plus ou moins rapidement et que des lésions hémorragiques peuvent apparaître secondairement. C’est dire combien les éléments recueillis ultérieurement au cours de l’évolution immédiate vont être précieux. Cela sous-entend aussi qu’il nous faut organiser la surveillance du blessé pour détecter une éventuelle aggravation, et qu’il ne faut rester prudent et ne pas émettre un pronostic trop précocement. Quelques règles simples doivent nous aider à recueillir pour chaque patient les données pertinentes et transmissibles qu’il s’agisse des données cliniques (examen de l’état de conscience, examen neurologique), des données neuroradiologiques, et manométriques. Pour servir de guide à notre évaluation, nous devons disposer d’échelles cliniques faciles à utiliser, à mémoriser, et à généraliser. Nous pourrons alors disposer de quelques éléments suffisants pour porter un pronostic sur le devenir du blessé.


1- Evaluation clinique


a- Evaluation de l’état de conscience du blessé : échelle de Glasgow

Nous disposons en permanence d’un indicateur clinique précieux, le degré d’atteinte des troubles de la conscience. La profondeur et la durée coma sont en effet deux critères majeurs du pronostic. Pour qu’il n’y ait pas désaccord entre les observateurs, l’examen de l’état de conscience utilise depuis 1972 une échelle d’évaluation, la Glasgow Coma Scale (GCS). Cette échelle clinique évalue la meilleure réponse que le blessé peut fournir lorsqu’on lui demande d’ouvrir les yeux (sur 4 points), de répondre à une question (sur 5 points), et d’exécuter un ordre simple (sur 6 points). La somme des trois chiffres obtenus fixe le degré d’atteinte de l’état de conscience du patient qui est inversement proportionnelle au chiffre obtenu. La réponse maximale est de 15 points (4+5+6, le patient a une vigilance normale), la réponse minimale est de 3 points (1+1+1, le patient est dans un état de coma aréactif). Il nous faut préciser qu’il n’y a aucun lien neurophysiologique ou neuro-anatomique entre l’ouverture des yeux, la réponse verbale, et la réponse motrice. Cette échelle sur 15 points est facile à utiliser par tous, car les trois paramètres choisis sont faciles à observer, à noter et cet examen clinique est facile à répéter. Noter qu’il n’y a pas de réponse zéro. Cette échelle de Glasgow est devenue une pratique universelle.


Par définition, le coma est "un état de non réponse, les yeux fermés en permanence, quelle que soit la durée". Avec l’utilisation de la GCS, on parlera de coma lorsque les réponses enregistrées donnent un score compris entre 3 (garde les yeux fermés, ne répond pas, ne fait aucun mouvement lors de la stimulation douloureuse, 1+1+1) et le score de 7 (n’ouvre pas les yeux ni à l’appel ni à la douleur, ne donne aucune réponse verbale, n’obéit pas à l’ordre mais oriente sa main de façon adaptée vers le stimulus douloureux en cherchant à l’écarter, 1+1+5). La pratique nous fera dire par exemple "coma Glasgow 3". Cette évaluation chiffrée se substitue à toutes celles antérieurement proposées qui laissaient trop de place à une interprétation subjective des mots comme coma vigil, coma léger, coma profond, coma carus, coma stade I, II ou III.


Le degré d’atteinte de la conscience fixe le degré de sévérité du trauma crânien. Aussi, on a attribué une signification de :


trauma crânien léger si le GCS est à 15, 14, ou 13

trauma crânien moyen si le GCS est à 12, 11,10, 9,

trauma crânien grave si le GCS est à 8, 7, 6, 5, 4, ou 3 On notera que le trauma crânien grave comporte une catégorie de patients qui ne sont pas à proprement parler dans le coma (GCS 8). Un facteur de gravité supplémentaire d’origine respiratoire et/ou circulatoire s’ajoute ici à la situation neurologique de ces patients et commande un geste de réanimation avec assistance respiratoire (règle de l’intubation : tout trauma crânien GCS ≤ 8).

Si le score de Glasgow permet une bonne identification initiale des troubles de la conscience, il permet de suivre leur évolution dans le temps, car cet examen clinique peut être répété à tout moment, ou faire l’objet d’une évaluation régulière systématisée. On parlera d’aggravation lorsque entre deux examens successifs sera notée la perte de 2 points sur l’échelle de Glasgow. Toute aggravation notée devra conduire à une action : vérifier les constantes biologiques (pouls, TA, respiration), donner l’alerte pour que soit recherchée une cause explicative telle qu’une hypertension intracrânienne par hématome compressif, ou une défaillance respiratoire ou circulatoire.


2- Examen neurologique

L’examen neurologique d’un traumatisé crânien doit être simplifié, mais ne doit pas être oublié. Il évalue la motricité, le tonus, et l’oculomotricité.


Examen de la motricité

L’examen recherche la présence d’un déficit moteur des membres, qui signe une atteinte focale. Ce déficit est surtout facio-brachial. Attention, se rappeler qu’un coma traumatique peut cacher les signes d’une paraplégie, ou plus rarement, d’une tétraplégie.

Examen du tonus

L’attitude hypertonique des membres est un signe péjoratif. On parle d’état de décérébration lorsque les membres inférieurs et supérieurs sont en extension.

Examen des pupilles

On examine le diamètre pupillaire (mydriase = diam > à 4-5mm, myosis = diam < à 2 mm) et le réflexe photomoteur (contraction de la pupille à la lumière). Dès le premier examen du blessé, il est important de rapporter le diamètre de ses pupilles, et leur état de réactivité à la lumière. Toute anisocorie (inégalité pupillaire) ou toute mydriase doit être notée. La situation la plus fréquente est celle d’une anisocorie peu ou pas réactive. La surveillance de l’état des pupilles doit accompagner chaque examen de l’état de conscience. En effet, l’apparition secondaire d’une anisocorie ou d’une mydriase signe la présence évolutive d’une compression latérale du tronc cérébral (la lésion est du côté de la mydriase et du côté opposé à l’hémiplégie). La mydriase bilatérale aréactive signe l’arrêt de la circulation cérébrale ; cette situation est irréversible. Il faut se rappeler que l’utilisation des drogues morphinomimétiques nécessaire pour maintenir une neurosédation s’accompagne toujours d’une réduction du diamètre pupillaire (léger myosis), et d’une diminution de la réponse du réflexe photomoteur.

Orientation temporo-spatiale L’évaluation de l’état d’orientation dans le temps et dans l’espace fait partie de l’évaluation de l’état de conscience de tous les patients GCS 10 à GCS 15. Une aphasie motrice peut facilement être confondue avec un état confusionnel

2-Evaluation neuroradiologique


La détection précoce des lésions intracrâniennes compressives est une priorité. Le scanner cérébral sans injection de produit de contraste est l’examen approprié pour le faire. Sauf impératif, il est recommandé de ne pratiquer cet examen qu’à partir de la 4- 6ème heure après l’accident, afin de donner aux lésions faiblement hémorragiques toutes les chances d’être détectées. Le scanner cérébral sera répété à la demande devant une aggravation secondaire, et systématiquement si le premier scanner a été réalisé en urgence avant la 6ème heure. Aujourd’hui une règle de conduite simple impose qu’un scanner cérébral soit effectué à tout traumatisé crânien se présentant avec un score GCS égal ou inférieur à 13.


3 - Evaluation manométrique


La mesure de la pression intracrânienne (PIC) est indiquée en cas de trauma crânien grave (GCS 3 à 7). Cette mesure par voie ventriculaire ou intraparenchymateuse permet d’évaluer le niveau initial, de donner une indication sur la sévérité, de suivre son évolution et les effets de la réanimation. On parlera d’hypertension intracrânienne lorsque la PIC est durablement supérieure à 15 mmHg. Cette hypertension est jugée sévère et menaçante si elle atteint ou dépasse 25 mmHg. Dans le même temps, on évalue la pression de perfusion cérébrale qui doit rester supérieure à 60 mmHg (Pression de perfusion cérébrale = Pression artérielle - PIC).


4- Evaluation du Pronostic


a. les facteurs du pronostic

Devant cette pathologie potentiellement dangereuse, deux questions se posent à nous : le risque vital à court terme et le risque fonctionnel à long terme. Plus le trauma est jugé grave, et plus ces questions sont importantes. Pour y répondre, nous disposons des données immédiates que nous recueillons par l’examen clinique et par l’imagerie, notre expérience passée, et toutes celles contenues dans des banques de données. L’exploitation d’une banque de données permet en effet d’établir le devenir global d’un groupe de patients qui se présentaient dans des conditions à peu près similaires à celles de notre blessé. Le pronostic individuel se heurte à trop d’inconnues pour pouvoir être prononcé avec certitude, sauf dans les cas de situation extrême (exemple du coma dépassé). Tous ces facteurs pronostiques sont à la fois utiles et fragiles. Nous savons que l’état de conscience initiale du blessé est un élément majeur, mais il est souvent occulté par la nécessité de recourir à la neurosédation. Nous savons que l’examen des lésions visibles au scanner est aussi un élément déterminant, mais nous connaissons les limites de son pouvoir détection. Nous pouvons aussi appuyer notre analyse sur d’autres points dont l’expérience générale confirme l’utilité au titre d’indicateurs, comme l’âge, le sexe, les facteurs génétiques, la mesure de la pression intracrânienne. Examinons en quelques uns :


les troubles de la conscience

Leur analyse statistique a permis d’établir un lien entre le pronostic vital et fonctionnel et l’état de conscience initiale du patient estimée sur la GCS. Ainsi , pour un GCS à 3, la mortalité est de l’ordre de 80%, alors qu’elle est inférieure à 1% pour un GCS à 15

l’importance des lésions

la nature, l’étendue et la topographie des lésions constatées déterminent indiscutablement le pronostic. La mortalité des lésions hémorragiques comme l’hématome extra-dural, ou l’hématome sous-dural sont assez bien connues. Il n’en est pas de même pour toute une gamme de lésions parenchymateuses dont l’évaluation neuroradiologique reste difficile

l’âge

l’âge influence le pronostic, car, à gravité initiale égale, la mortalité augmente avec l’âge à partir de 15 ans. Mais à l’inverse, la mortalité diminue avec l’âge entre 0 et 15 ans. Le mécanisme du traumatisme et ses caractéristiques biomécaniques varient beaucoup avec l’âge, et donc influence indirectement le pronostic lié à l’âge.

le sexe

le sexe féminin semble défavorisé en terme de résultats à long terme, qui dans l’ensemble sont moins bons. Mais, il faut remarquer que l’incidence du trauma crânien est ici deux fois moins élevée que chez l’homme.

les facteurs génétiques

le pronostic défavorable d’un trauma crânien serait étroitement lié à la présence dans le génome d’un facteur protéique particulier présent dans l’allèle epsilon 4. La présence de ce facteur diminuerait les chances de récupération.

la pression intracrânienne

la mesure de la pression intracrânienne ne s’adresse qu’à des patients comateux dans un état grave. La mortalité chez les blessés dont la pression intracrânienne reste en dessous du seuil de 20 mmHg est de l’ordre de 19%. La mortalité atteint 50% chez ceux dont la pression est supérieure à 20 mmHg. Elle est de 95% lorsque la pression intracrânienne est durablement supérieure à 40 mmHg.

b. Echelle d’évaluation du devenir

Pour que nous puissions communiquer entre nous du devenir des patients, il nous faut disposer d’un même code qui avec facilité définisse telle ou telle catégorie de blessés. Presque en même temps que l’échelle GCS, a été proposée la Glasgow Outcome Score (GOS) pour systématiser des classes de devenir en terme de mortalité, de résultat fonctionnel, et de réinsertion économique du blessé. Cette échelle a pu être critiquée, elle est devenue aujourd’hui incontournable. Elle peut s’enrichir par l’utilisation d’autres échelles pronostiques avec lesquelles une correspondance est toujours possible. Cette échelle comprend cinq catégories :


GOS 1 : bonne récupération. Le blessé peut présenter tel ou tel handicap, mais se suffit et retrouve une vie sociale et professionnelle.

GOS 2 : récupération partielle avec un handicap modéré. Le blessé est cependant indépendant, mais a besoin d’aides dans certains domaines. Il peut retrouver une activité professionnelle en milieu protégé.

GOS 3 : handicap grave. Le blessé est conscient mais présente des déficits importants qui le rendent dépendant d’autrui. Il doit vivre en milieu familial ou institutionnel adapté.

GOS 4 : état végétatif persistant. Le blessé a perdu toute apparence de vie mentale affective ou relationnelle. Il est entièrement dépendant.

GOS 5 : décès

c. Pourquoi faire un pronostic à la phase initiale ?

Etablir un pronostic global, c’est d’abord donner un indicatif sur le risque de mortalité immédiate ou précoce directement liée à la sévérité du traumatisme initial. Ce pronostic ne doit pourtant pas modifier la conduite pratique immédiate qui doit tout mettre en oeuvre pour traiter le blessé, et éviter l’influence d’un pronostic trop pessimiste (risque de défaitisme inconsidéré), ou à l’inverse trop optimiste (risque d’activisme exagéré). Passés les dix premiers jours, le pronostic global de mortalité a moins d’intérêt que celui du devenir fonctionnel.


Etablir un pronostic individuel serait plus pertinent, mais il s’appuierait sur des données trop fragiles telles que l’expérience personnelle, celle de l’équipe médicale et soignante, et notre interprétation des données épidémiologiques recueillis par d’autres équipes. Il ne peut être tenu pour certain, il ne peut être qu’indicatif. Et même si l’on doit à la famille du blessé toute la vérité, on ne peut formellement être certain de la détenir. Même si l’avenir du blessé nous paraît sombre, il nous faut avouer modestement notre incertitude, et surtout éviter de ne laisser par nos propos aucune place à l’espoir.


Etablir un pronostic est enfin un élément important en termes de Santé Publique. L’étude des indicateurs du pronostic permet éventuellement une correction préventive des risques défavorables, une sensibilisation de l’opinion, une amélioration de la prise en charge du blessé dès les premiers instants.

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