Introduction
Le rachis élément essentiel de l'anatomie de tous les vertébrés est chez l'homme exposé à des contraintes particulières liées le plus souvent à la position debout. Dès le réveil il est soumis à des pressions et à des mouvements. Les douleurs du dos sont surtout localisées dans la région cervicale et lombaire. Elles constituent la deuxième cause de douleur qui motive les gens à consulter un médecin (la première étant le mal de tête) et la cause la plus importante d'arrêt de travail. En France les lombalgies et les lombo-radiculalgies arrivent au troisième rang des maladies professionnelles indemnisées depuis 2000 [1].
Définition
Lombalgie : Duquesnoy et coll (1993) [2] définit la lombalgie par des douleurs lombo-sacrées à hauteur des crêtes iliaques ou plus bas médianes ou latéralisées avec possibilité d'irradiation ne dépassant pas le genou mais avec prédominance des douleurs lombo-sacrées durant au moins trois mois quasi quotidienne sans tendance à l'amélioration.
Travail : la notion de travail date du XIX siècle dans les pays industrialisés le travail c'est la santé. L'analyse étymologique du mot dans les langues européennes montre qu'il veut dire ennui souci et/ou labeur. Le mot français travail dérive du mot latin « trepalium » instrument de torture redouté.
Ces origines pourraient expliquer les différences d'attitudes vis-à-vis de la pathologie du rachis d'origine professionnelle.
Anatomie [3]
La colonne vertébrale est constituée de 24 vertèbres dont sept cervicales douze thoraciques et cinq lombaires. Dans le plan frontal cette colonne est médiane verticale. Dans le plan sagittal elle décrit successivement une lordose cervicale une cyphose dorsale une lordose lombaire et une concavité ventrale du sacrum. Les vertèbres sont de petits os cylindriques superposés et vides en leur centre. La cavité centrale reçoit la moelle épinière dans laquelle circule un faisceau de fibres nerveuses motrices sensitives et associatives. L'espace entre les vertèbres est cousiné par un disque de tissu souple qui renferme un gel ayant pour fonction de permettre la mobilité des vertèbres tout en évitant qu'elles ne se frottent les unes sur les autres. L'ensemble est entouré de muscles de tendons et de ligaments dont le rôle est d'assurer la solidité et la mobilité des délicates articulations de la colonne.
épidémiologie
Fréquence :
Les lombalgies sont des symptômes dont la fréquence est sans conteste très élevée comparativement à d'autres pathologies qui passent elles-mêmes pour être très courante comme l'asthme ou les affections dermatologiques.
On estime que 50 à 80% de la population mondiale est victime à un moment donné de lombalgies ce qui les place en tête des problèmes de santé en terme de fréquence de survenue [4]. 5 à 10% évoluent vers la chronicité [5]. D'après une enquête menée par des médecins du travail auprès de 7129 personnes travaillant en région parisienne (Alcouffe 1999) [6] dans les 12 mois précédents : 54% des actifs ont souffert au moins un jour de lombalgie 30% ont souffert au moins 8 jours 19% indiquent une irradiation à la jambe. Toujours dans les 12 mois précédents : 18% de la population a consulté un médecin pour lombalgie 4% a eu un arrêt de travail pour lombalgie mois de 1 % a eu un arrêt de travail de plus d'un mois pour ce motif.
D'autres études menées en France ou dans d'autres pays retrouvent des valeurs assez comparables avec des fréquences accrues dans certains secteurs professionnels :
pour les hommes le bâtiment le secteur du transport pour les femmes le secteur des soins le personnel de nettoyage et de service.
Sexe: Il n'y a pas de différence de prévalence entre les sexes.
Coût économique et social [2]
Des études économiques menées dans divers pays industrialisés permettent d'approcher les coûts financiers. Ces données montrent que le poids relatif des coûts indirects (indemnités remplacements) est trois à quatre fois supérieur aux coûts directs (diagnostics soins...)
Le nombre d'arrêts de travail pour lombalgie représente une ville de 60 000 habitants dans laquelle tous les salariés seraient arrêtés pendant un an.
Facteurs de risque (FR)
Les FR professionnels
* Les facteurs biomécaniques [7]
Deux circonstances de survenue des lombalgies au travail peuvent être citées : celle due à une cause accidentelle (chute glissade faux mouvements) et celles survenant de manière progressive dont la cause est l'accumulation de contraintes posturales. Les lombalgies reconnues comme accident de travail représentent 25%.
· la manutention manuelle de charge lourde est à l'origine d'accidents en particulier lombaires. C'est pourquoi le poids des charges manutentionnées ne doit pas dépasser 30kg pour les hommes et 15 kg pour les femmes. Cependant les dangers de la manutention manuelle ne sont pas toujours liés à des poids de charge trop important. Sachez-le une bonne technique de manutention vous aidera à protéger votre colonne vertébrale. Ses principes sont :
Ø réfléchir avant d'agir « il faut porter avec sa tête avant de porter avec ses bras »
Ø se placer le plus près possible de la charge
Ø garder le dos bien plat
Ø fléchir les jambes et soulever à la force des cuisses
· L'antéflexion du tronc associée à la torsion
· Les vibrations transmises au corps entier lors de la conduite de véhicules
· Le maintien prolongé de posture statique joue un rôle significatif dans l'apparition des cervicalgies
* Les facteurs psychosociaux [78]
Ce vocable recouvre principalement quatre dimensions de l'environnement de travail.
la demande psychologique
l'autonomie décisionnelle du salarié
le soutien social
la reconnaissance
Pour Hoogendoorn 2000 [9] : le faible soutien social et l'insatisfaction au travail joue un rôle significatif dans la déclaration des lombalgies chez des sujets initialement indemnes.
D'après Vingard 2000 [10] la combinaison de contraintes physiques importantes et de facteurs psychosociaux défavorables augmente le risque d'apparition des plaintes.
Les facteurs de risque personnels
De nombreux facteurs favorisant les lombalgies sont décrits :
* indice de masse corporelle supérieur à 29kg/m2
* la relation entre sport et lombalgie est sujette à controverse
* les antécédents familiaux
* le tabac (augmentation de la pression intradiscale trouble de la circulation sanguine de la périphérie du disque)
* le stress prolongé
* le manque d'entraînement physique
* le port de chaussure à talons hauts
* les mauvaises postures
* la grossesse et la prise de pilule anticonceptionnelle (augmentation de la sécrétion d'hormone entraînant un relâchement des tissus musculaires de la région pelvienne et aux alentours de la colonne vertébrale)
NB : * Le spondylolisthésis la scoliose de l'enfant ne semblent pas constituer un facteur de risque. Il n'est pas démontré d'une façon formelle qu'il existe une relation entre maladie de scheuermann et lombalgies
Causes [11]
Les lombalgies ne constituent pas des maladies mais des symptômes dont il est important d'en identifier la source pour pouvoir bien les traiter. On peut les classer en trois catégories :
- Rachialgies communes (les plus fréquentes)
- Rachialgies symptomatiques d'une pathologie rachidienne inflammatoire infectieuse tumorale ou autres.
- Rachialgies fonctionnelles.
Les sources de douleur les plus fréquentes sont :
- Une lésion d'un muscle d'un tendon ou d'un ligament provoquée par un effort une torsion inhabituelle ou par l'accumulation de microlésions associées à des mouvements répétitifs.
- La dégénérescence discale avec l'âge en raison du poids que les disques supportent.
- Une subluxation vertébrale. Le disque intervertébral s'affaiblit et ne peut plus maintenir l'alignement des vertèbres qu'il relie. Les disques et vertèbres désalignés compriment les nerfs ce qui explique la douleur.
- Une hernie discale le gel contenu dans le disque intervertébral fait saillie vers l'extérieur et comprime les racines nerveuses. De mauvaises postures le surplus de poids la grossesse et la dégénérescence discale en sont les principales causes.
Abord diagnostique [12]
La démarche diagnostique devant des lombalgies passe par trois étapes que nous résumons ci-après :
1- L'interrogatoire
Il doit répondre à certaines questions :
→ Le siège de la douleur et ses irradiations
→ Le mode de début et le mode d'évolution des douleurs
→ L'influence des sollicitations mécaniques rachidiennes
→ Rechercher la relation éventuelle avec un accident de travail et le retentissement socioprofessionnel
→ Les antécédents
2- L'examen physique
- Recherche d'un trouble de la statique rachidienne
- étude de la mobilité
- Rechercher les points douloureux
- Rechercher les signes de souffrance radiculaire et des signes de compression médullaire
- Examen général à la recherche de signes pouvant orienter vers une rachialgie symptomatique
3- Examens complémentaires
- Ils sont inutiles chez un sujet jeune au tout début de la prise en charge afin de ne pas alourdir le pronostic
- ils sont indispensables à demander
* sujet âgé
* symptôme persistant
* si terrain pathologique préexistant
Ils comportent des examens biologiques (VS NFS) et radiologiques (Radiographies standard). Les examens spécialisés tels que le scanner l'IRM seront demandés en fonction de la suspicion diagnostique.
Facteurs de risque de passage à la chronicité [1314]
Le passage à la chronicité est lié à un certain nombre de facteur régulièrement impliqué :
professionnels (inadaptation physique insatisfaction)
socio-économique (bas niveau d'éducation et de ressources)
médico-légaux (accident de travail litiges)
psychologiques (terrain dépressif sensation d'être toujours malade).
Afin d'éviter le passage à la chronicité il est important d'instaurer une stratégie thérapeutique et préventive précoce et adéquate puisque le retour au travail ne dépendra pas de la maladie bénigne en elle-même mais plutôt des facteurs psychosociaux et professionnels.
Les moyens de prévention
Le poids croissant de l'invalidité liée aux lombalgies communes et plus particulièrement les lombalgies doit nous inciter à réfléchir sur la mise en œuvre d'une stratégie d'action précoce et bien adaptée.
En effet jusque dans les années 90 la prise en charge s'appuyait sur des concepts erronés :
les repos et l'absence d'activité étaient privilégiés
le soulagement à court terme de la douleur.
Ces notions thérapeutiques classiques sont remises en cause.
Indahl et al [15] ont réparti 975 patients lombalgiques en arrêt de travail depuis 8 à 12 semaines en deux groupes : (a) traitement conventionnel (b) information répétée du patient sur l'absence de lésion rachidienne sévère le rôle des muscles dans la genèse des douleurs et l'effet thérapeutique d'une reprise d'activité modérée privilégiant les efforts en extension. Après 200 jours de suivi 60% des patients sont encore en arrêt de travail dans le groupe ( a ) contre 30% seulement dans le groupe (b ).
Malmivaara et al [16] ont comparé trois options thérapeutiques chez 186 patients souffrant d'une lombalgie et évoluant depuis cinq jours en moyenne : (a) repos au lit pendant deux jours (b) rééducation et exercices (c) maintien des activités ordinaires en évitant le repos au lit.
A la troisième et à la douzième semaine de traitement l'évolution s'est avérée meilleure dans le groupe (c) tant en terme de durée et d'intensité de la douleur que de flexion lombaire capacité à travailler et de durée de travail.
En effet la prévention s'articule autour de trois axes [17]
agir pour éliminer ou réduire l'exposition à des situations dangereuses (mais tous les risques ne sont pas identifiables ou évitables) d'où l'importance d'une étude ergonomiques des conditions de travail
2- améliorer la résistance de la colonne vertébrale pour augmenter sa marge de sécurité en insérant un programme de reconditionnement physique. A ce propos plusieurs programmes ont été établis concernant les lombalgies : programme d'école du dos programme ACTH (Amélioration des Conditions du Travail des personnes Handicapées) et le programme lombaction. L'objectif de ces programmes est de faire revenir le patient au poste de travail améliorer sa fonction ainsi que son bien être.
3- prendre en charge le facteur stress afin d'optimiser l'aptitude et les compétences de l'homme dans son métier professionnel.
Place du médecin du travail
La mission légale du médecin de travail est de prévenir toute dégradation de l'état de santé des salariés secondaire au travail. Il joue un rôle clé dans la prévention primaire et le maintien du salarié au travail. Il dispose pour cela de deux outils principaux : son accès au milieu du travail et la décision d'aptitude individuelle de chaque salarié à son poste.
La législation a prévu une visite de pré-reprise afin d'évaluer la situation médicale. Si une modification du poste de travail est la condition du maintien dans l'emploi le médecin du travail peut mobiliser les ressources des équipes de santé au travail.
La prise en charge en maladie professionnelle
En France la réparation des maladies professionnelles repose sur la présomption d'origine. Récemment deux tableaux pour le régime général (n°97 et 98) et deux pour le régime agricole (57 57 bis) concernant les affections du rachis lombaire ont été crées [18].
Ils sont déjà très critiqués à la fois pour leur rédaction et l'utilisation qui peut en être faite. Au Maroc nous ne disposons pas de tableau de réparation des maladies professionnelles concernant le rachis.
Conclusion
La colonne vertébrale peut souffrir dans toutes les situations de la vie autant au travail qu'en dehors. L'amélioration de la prise en charge des patients souffrant de mal de dos reste une priorité de santé publique et de santé au travail en raison des coûts élevés que cette problématique de santé génère pour la collectivité.
0 Commentaires